Ce tableau coloré et atypique ne paraît pas à première vue faire partie des œuvres magistrales du peintre bruxellois, abstraites et connues pour leur noir dominant. Réalisé à la fin de la Seconde Guerre mondiale, il a pourtant une importance significative dans le cheminement artistique d’Antoine Mortier (1908-1999). A cette époque, le peintre travaille comme choriste au Théâtre royal de la Monnaie. On y joue l’opéra Thaïs, de Massenet. Durant les pauses, Mortier observe et croque les douze figurants tenants des flambeaux dans le fonds de la scène. Ce sont de pauvres gens qui peinent à subsister avec de petits boulots. Peu à peu, ces esquissent évoluent, se dramatisent, puis, gommant ces figures pathétiques, Mortier pense aux quatre grands : Staline, Roosevelt, Churchill, et De Gaulle, « qui s’annoncent comme des porteurs de flambeaux d’un monde nouveau et de notre liberté », comme peintre confiera à son ami l’historien de l’art Karel Geirlandt. L’atmosphère générale de la toile demeure celle d’un théâtre, mais les douze porteurs de flambeaux se sont transformés en quatre sauveurs du monde, ceux qui ont brisé les puissances de l’Axe.
Ce tableau révèle aussi les talents indéniables de coloriste de Mortier, tout comme la vigueur du geste qui le caractérise. S’il fait la part belle à l’essentiel, c’est pour que sa toile ne s’encombre pas d’artifices inutiles et mette à nu la lueur d’espoir qui surgit dans un monde où tout est à reconstruire. Cette œuvre est à la lisière entre deux périodes chez Mortier : celle inspirée de l’expressionnisme flamand et celle que l’on qualifiera d’abstraction lyrique, et qui fera sa renommée. Deux grandes caractéristiques de son travail sont déjà présentes : le noir prédominant un savant alliage de couleurs vives et une simplification des formes annonçant l’abstraction complète. On décèle dans Les Flambeaux tout ce que l’histoire de l’art retiendra de Mortier. Tout d’abord présentée chez Delevoy, grand amateur de la Jeune Peinture Belge, l’œuvre est ensuite acquise par le collectionneur Gustave Van Geluwe. Elle a beaucoup voyagé pour diverses expositions bien qu’étant restée entre les mains de la famille du collectionneur pendant soixante-neuf années. Méritant de demeurer dans le patrimoine belge, l’œuvre de Mortier vient de rejoindre les collections de la Fondation.